» Si tu ne sais plus où tu vas, tu dois savoir au moins d’où tu viens « .
Sandra Jayat, peintre et poétesse tzigane
Ma rencontre avec Sandra Jayat a d’abord été littéraire. Il y a quelques mois, une amie m’a offert un livre « La zingarina ou l’herbe sauvage « . Ce cadeau inattendu a vraiment ouvert bien des portes en moi.
J’ai été captivée par ce récit poétique et autobiographique, qui raconte l’incroyable parcours d’une jeune adolescente tzigane. A 15 ans, au début des années 50, Sandra Jayat fuit un mariage arrangé, quitte l’Italie et décide de rejoindre Paris, à pied, pour retrouver un cousin, le célèbre guitariste Django Reinhardt.
Elle connaîtra, la solitude, le rejet, la peur, mais une bonne étoile veille sur elle. Sa vie sera jalonnée de rencontres essentielles et de hasards bienheureux.
Après un long périple d’une année qui ressemble à une véritable quête initiatique, Sandra Jayat arrive à Paris. Autodidacte, elle peint, écrit des poèmes, danse les couleurs de son âme. Une vie de bohème et d’abondance qu’elle partage, avec d’autres artistes , tels que Marcel Aymé ou Jean Cocteau qui seront de fidèles compagnons sur le chemin de la création. La vie et le parcours de cette femme montrent qu’il est possible de vivre une vie en accord avec les couleurs de la liberté, de la confiance et de l’intuition, à condition d’apprendre à lâcher le passé pour suivre l’appel de l’inconnu.
J’ai eu envie de rencontrer Sandra Jayat car au-delà de son parcours , j’ai aimé sa façon de peindre son monde intérieur, avec grâce et légèreté.
Très gentiment, Sandra Jayat a accepté d’échanger avec moi et je la remercie.
C’est une dame aujourd’hui âgée de 73 ans. Elle vit toujours à Paris. Grâce à elle, j’ai encore une fois beaucoup appris.
Sandra Jayat : peintre et poète
Nous nous rencontrons au Cabinet de Paris, dans le 5ème arrondissement. Drôle d’endroit pour une rencontre. Le cabinet de Paris n’est pas une galerie d’art, mais une agence immobilière. C’est pourtant là que sont exposées de nombreuses toiles de Sandra Jayat. Et ce n’est pas un hasard. Dans les années 60, ce lieu était un club où défilait les plus grands poètes. C’est le fils des anciens propriétaires, aujourd’hui responsable de l’agence immobilière qui par attachement pour le passé bohème de ses parents, a décidé de rendre hommage aujourd’hui encore au travail de l’artiste tzigane.
J’ai le sentiment d’explorer encore une fois une maison abandonnée, où la lumière n’a jamais cessé de briller malgré les années. L’époque a changé, mais les murs vibrent. Ils se souviennent d’un temps où des artistes idéalistes se retrouvaient pour créer un autre monde. Un monde d’une beauté nouvelle.
Elle apparaît avec ses grands yeux bleus qui n’ont rien perdu de leur éclat mystérieux. Sandra Jayat est une dame élégante, le cou serti d’un ruban bleu. J’ai des dizaines de questions qui me viennent et qui s’entrechoquent entre mes lèvres tant ma curiosité est grande. Elle me regarde avec un sourire amusé. « Vous savez, je sens les gens, je ne peux pas vous l’expliquer, c’est peut-être l’instinct, mais je sens les gens », me dit-elle. Je ris, soulagée. Si elle est restée, c’est qu’elle est prête pour la conversation. Le courant passe. Je suis comblée.
Qu’est-ce qui me fascine chez cette artiste ? Qu’est -ce qui m’a poussé à la rencontrer ? Voilà la véritable question. En lisant ses poèmes, en écoutant ses chants, en plongeant le coeur dans ses toiles, j’ai senti que l’art, la créativité était bien plus qu’un passe-temps ou qu’un don.
Créer aide à vivre. C’est aussi simple que cela. Et c’est le plus grand secret que m’a révélé Sandra Jayat.
Ses errances, sa solitude, son passé difficile, les souvenirs de la guerre, où ,enfant, elle est cachée pendant des mois dans un grenier avec son grand-père pour éviter les camps de concentration où les tsiganes seront amenés au même titre que les juifs, les homosexuels et tous les êtres jugés déviants, sous l’ère nazie, tout cela est resté figé dans sa mémoire. Elle m’en parle, avec émotion. » Peut-on jamais guérir du passé ? Aujourd’hui à mon âge, les souvenirs douloureux refont surface », me lance-t-elle, le regard perdu dans ses pensées. J’ai envie de lui dire que oui, on peut guérir, mais je me tais. Je sais que je suis venue ici écouter comment cette magicienne, a transformé la douleur en lumière.
Qu’est-ce que le destin ? Est-il menaçant, injuste où se présente-t-il simplement à nous lorsque notre âme ressent l’appel de la liberté ? Sandra Jayat a répondu à cette question avec le recul de ses 73 printemps.
En quittant une vie sécurisée au sein de son clan, la jeune tzigane a suivi sa propre voie, au prix d’une grande solitude. Chez les nomades quand sonne l’heure du départ, aucun retour en arrière n’est possible. « Le gitan part à ce signal que personne ne donne et auquel tous obéissent », me souffle-t-elle. L’ âme de Sandra Jayat avait choisi un autre destin que celui que sa condition lui avait attribuée et elle a eu le courage de partir sans savoir où elle allait.
Commence alors une vie d’errance dans l’Europe des années 50. Elle est seule sur les routes, elle sait qu’elle doit rejoindre Paris, c’est sans doute sa seule certitude. Le reste ne sera qu’infinie solitude. Elle marche donc seule, rejetée par des villageois souvent cruels et ignorants. « Je pouvais passer de longues semaines sans croiser ou parler à quelqu’un, mais dans ma tête je n’étais pas seule. Je créais des tableaux dans mon esprit. Je parlais aux pierres et à la lune. J’écrivais déjà des mots sur le papier invisible de mon monde intérieur. J’ai appris la vie comme ça. Le grand livre de la vie, c’est la Nature« , m’explique-t-elle.
Un chemin solitaire qui sera malgré tout éclairé par des rencontres bienfaisantes. Dans les pires moments de désespoir, une âme charitable lui tend toujours la main. C’est quand elle n’attend plus rien, que le ciel lui envoie des anges terrestres qui la laveront, rempliront son ventre affamé, avant de la remettre sur la route, revigorée.
Un jour, elle rencontre un peintre. Il lui apprendra tout ce qu’elle ne sait pas encore. Elle se sent bien à ses côtés mais elle sait aussi qu’elle ne peut pas restée dans son ombre. Pas après pas, elle arrive à Paris. Ce souvenir, provoque une vive émotion : » Quand je suis arrivée à Paris, je suis arrivée porte d’Italie. J’ai pleuré de découragement, après tout ce voyage, je croyais que je n’avais fait que tourner en rond, je pensais que je n’avais jamais quitté l’Italie« , poursuit-elle, dans un éclat de rire.
C’est pourtant là que sa vie commence. Elle était venue pour retrouver son cousin Django Rheinardt mais il est déjà mort. Elle ne pourra pas compter sur lui. Elle erre seule. Une femme la recueille. Aussi incroyable que cela paraisse, cette dame qui a perdue sa fille dans les camps de concentration croit revoir sa chère enfant disparue dans les grands yeux bleus sauvages de la petite tzigane. Sandra Jayat jouera le jeu pour éviter à cette femme une douleur atroce. Mais très vite, elle sent, que ce mensonge ne pourra pas durer. Elle quitte alors encore une fois un foyer sécurisant mais malsain, pour l’inconnu.
Pour survivre, elle vend les pierres bleues qu’elle portait avec elle depuis sa fuite. C’est comme cela qu’elle gagnera ses premiers deniers. La jeune femme a un talent certain. Ses dessins se vendent. Elle écrit des poèmes chaque jour dans un café, puis les déchire aussitôt. Ecrire est une manière pour elle de vider son âme tourmentée par toutes les émotions traversées. Un jour un homme lui demande s’il peut lire ses poèmes. Cet homme, c’est Marcel Aymé. Le célèbre poète deviendra l’un de ses plus fervents admirateurs et un précieux allié.
En plein coeur des années 60, Sandra Jayat représente la femme sauvage, libre, authentique, elle devient alors une muse, crée, danse, inspire. Suivra alors une ascension créatrice qui fera d’elle une pionnière. Elle deviendra la première ambassadrice du peuple tzigane. Elle ira raconter son histoire dans des écoles, tout en poursuivant une prolifique vie créatrice à travers la poésie et la peinture.
La recherche de la liberté est à son apogée à cette époque de grand changement. Les années 70 célèbrent l’amitié, le partage, la créativité. Son histoire et sa personnalité fascinent tous ceux qui s’éveillent à cette nouvelle réalité, au moment où de nombreux schémas sociétaux s’effondrent.
Tout ce qu’elle me dit résonne avec justesse en moi. J’ai toujours ressenti ce même besoin de liberté. Malgré les désillusions, la période » Flower Power » a ouvert bien des voies et distillé des germes d’espoir, d’amour et d’unité qui continuent de vivre aujourd’hui dans de nombreuses oeuvres d’art.
Sandra Jayat me l’avoue. Elle n’aime pas notre époque, si éloignée de ce temps béni où la vie était fluide, les amitiés sincères, l’abondance toujours au rendez-vous malgré le manque d’argent. Elle s’affole des hoquets du monde tenté à nouveau par le repli, la xénophobie, la peur de l’autre, la peur de perdre. » Aujourd’hui les gens ont peur les uns des autres. L’autre dans ses différences est pourtant d’une incroyable richesse », médite-t-elle.
Elle conclut notre entretien, avec des vérités qui font trembler mon coeur de joie.
Voici ce qu’elle me confie : » Il n’y a pas de liberté possible en dehors de soi-même. Il faut apprendre à se créer sa propre liberté intérieure. Etre libre, c’est apprendre à respirer seul. A chacun de définir son bonheur. Pour moi, le bonheur, c’est être soi-même, s’accepter. Il faut d’abord être bien avec soi-même, pour être bien avec les autres. J’ai vécu des moments difficiles, mais je peux vous dire, que c’est en tombant très bas, que j’ai aperçu la lumière. J’ai appris aussi qu’il ne fallait pas se laisser influencer par les autres. On doit se créer son idéal, s’entourer de personnes positives et surtout écouter sa petite voix intérieure. »
Tout est dit. Je suis prise d’une émotion à ces mots que je ne comprends pas moi-même. Mon âme sait. Aujourd’hui, je sens qu’il est possible de trouver la lumière dans l’obscurité. Il n’y a qu’à suivre les signes que l’univers a laissé pour nous dans le noir.
Je plonge mes yeux dans le regard bleu de Sandra Jayat et je vois alors avec une clarté nouvelle le monde qui m’entoure.
A partir de ce jour, je comprends que moi aussi j’ai le droit de suivre ma voie. J’accepte le défi. Je continue le chemin, sans savoir où il me mènera, en acceptant de laisser derrière moi, mes peurs, mes blessures et tout ce qui me pèse.
Je pars devant en éclaireur chers amis et lecteurs. Cela fait plus d’un an que je cherche ,via ce blog, des réponses. Je ne les ai pas toutes, mais j’avance, à vos côtés, dans la confiance, portée par votre bienveillante énergie.
Ressentez-vous vous aussi, ce puissant appel qui nous pousse à changer notre façon de vivre et d’être au monde ?
Quoi qu’il arrive, vous pourrez compter sur moi, pour transmettre toutes mes découvertes. Nous avançons ensemble, chacun à notre rythme. Et nous irons ensemble au bout du chemin.
N’avez-vous pas vous aussi envie de savoir où il mène ?
Sandra C.
©larevolutioninterieure.com
« Hiver » de Sandra Jayat
Liens pour aller plus loin :
La biographie de Sandra Jayat
Où trouver ses oeuvres ?