» La force du baobab est dans ses racines » Proverbe africain
Me voilà de retour du Sénégal. J’ai un peu hésité avant de choisir cette photo pour illustrer cet article. La peur de se dévoiler totalement peut-être. Et pourtant cette photo résume tout. L’Afrique m’a nourrie au-delà de mes espérances. J’ai le sentiment d’avoir été bercée par les bras de la Terre.
Quand on évoque ce continent dans nos médias, ce sont les guerres, la pauvreté extrême, la famine qui se déploient sur nos écrans de télévision. Ce n’est pas de cette Afrique -là dont je vais vous parler aujourd’hui. En me rendant au Sénégal, pour rejoindre des amis qui y vivent, j’ai vécu ma propre expérience et c’est de cette expérience- là dont je vais vous parler.
J’avais juste envie de partager ce que j’ai ressenti là-bas.
Quand j’ai décidé de partir au Sénégal, j’avais besoin de clarté, d’énergie, d’inspiration pour poursuivre ma route. Et ce pays a exaucé mes prières. J’y ai vécu des instants magiques. C’est pour ne pas les perdre que j’écris, c’est pour les ancrer en moi, que je tape sur ce clavier. Toute notre vie n’est qu’une succession d’instants uniques. Ils s’évaporent si les mots ne les retiennent pas. Alors je vais vous raconter cette histoire, pour ne pas oublier, pour ne pas m’oublier et pour continuer à faire vivre la magie de ces instants précieux.
Les nourritures africaines
Il y a d’abord cette chaleur, enveloppante, réconfortante. Je viens d’arriver dans le Saloum, une région située à 4 heures de route au sud de Dakar. Je suis avec Coly, mon guide. Coly est un ami de mes amis français. Nous avons le même âge, et nous avons eu le temps d’apprendre à nous connaitre à Dakar. Il va m’accueillir chez lui à Samba Dia pour quelques jours. Me voilà donc aux portes de son village et je suis transportée par la beauté de la Nature qui m’entoure. Cette terre rouge qui explose au soleil, les baobabs majestueux qui peuplent l’horizon aride, m’offrent leur bienfaisante énergie dès les premières secondes de mon arrivée. Je marche au ralenti et pourtant tous mes sens sont en éveil. Il me semble que je n’avais jamais utilisé mes sens avant ce jour. Les habitants portent tous des tenues colorées. Le noir semble réservé à la nuit. Dans ce village, la vie coule comme une rivière arc-en -ciel. Me voilà donc arrivée dans la maison où vivent la mère de Coly, ses soeurs et ses neveux et nièces. Je suis un peu intimidée, je rencontre ces gens pour la première fois, mais ils me reçoivent comme si j’avais toujours été là. Je suis accueillie avec chaleur mais ma présence ne perturbe pas le rythme de la vie quotidienne. Les enfants jouent tranquillement à l’ombre du manguier qui trône fièrement au centre de la cour. Des poussins téméraires s’approchent de mes pieds poussiéreux en sautillant. Je souris de leur impertinence. Des éclats de rires s’échappent des gorges généreuses des femmes. Elles sont toutes d’une beauté sauvage. Je suis fascinée par la spontanéité de leurs regards, la luminosité de leurs sourires. Leurs corps tout en courbes se déplacent dans l’air avec légèreté. Leurs présences discrètes rayonnent dans l’espace.
Je prends quelques secondes pour m’adapter à ce nouvel environnement. Tout est tellement simple. Tellement naturel. On ne se perd pas en formules de politesse. Cette simplicité me libère d’emblée. Je me sens bien. Je me sens tellement bien, qu’ à peine arrivée, me voilà allongée sur un matelas en mousse posé à même le sol. Mes résistances d’occidentale soucieuse de faire bonne impression ont sauté en quelques minutes. Mon corps n’a qu’une envie c’est de s’abandonner en toute confiance à ce berceau improvisé. Nous ne parlons pas. Les mots sont de trop quand ils n’ont rien à dire d’essentiel. Ici, le silence ne fait pas peur. Ici le silence, permet d’entendre la respiration de la Terre. Chacun respire à son rythme et laisse l’autre respirer à son rythme. Ces inconnus viennent de m’offrir un cadeau inestimable : ils me laissent être moi-même, sans me juger, sans m’évaluer, sans rien attendre de moi. Il n’y a rien à faire, rien à dire. Juste être là. Juste être soi. Suivre le souffle naturel des heures qui passent, en étant totalement présent à ce qui est là.
Me voilà donc allongée sur ce matelas de mousse. Je ne pense plus, je savoure. Je me sens tellement en confiance, que je me mets à somnoler. Je sens que mon esprit perçoit les bruits alentours mais mon corps est totalement anesthésié. Je suis incapable de bouger. Ma conscience ensommeillée reste cependant alerte aux mouvements de la vie qui coule tout autour de moi. Il y a le rire des enfants, le gloussement des poules, le vent qui ébouriffe délicatement les branches du manguier. Une profonde détente s’installe dans chaque parcelle de mon corps. La chaleur de l’air m’enveloppe. J’ai la sensation d’être blottie dans le ventre de la Terre, comme si je retrouvais la chaleur du ventre maternel. Je me sens bercée par le souffle soyeux du vent. En totale sécurité dans cet environnement pourtant totalement nouveau. Je n’ai jamais ressenti un tel bien-être aussi rapidement où que ce soit. La terre africaine est notre mère à tous. Nous sommes tous issus d’elle.Voilà les pensées qui me traversent au moment où mon esprit s’apprête à voyager en dehors de moi, dans le pays mystérieux des rêves.
Coly le Baye-Fall
Il y a des rencontres qui semblent avoir été préparées depuis la nuit des temps par des anges facétieux. Quand j’ai rencontré Coly, j’ai senti que je retrouvais un frère. Notre connexion a été immédiate. Comme une évidence. Nous sommes de la même génération. Nous sommes nés à la fin des années 70. Nous ne sommes plus des adolescents et pourtant, nous partageons cette spontanéité joviale qui nous caractérise tous les deux. Je m’émerveille de toute chose courant ici et là. Il veille sur moi, protecteur. » Ton amie me tuera s’il t’arrive quelque chose « , rigole-t-il. Alors il fait en sorte qu’il ne m’arrive rien. Il éloigne les serpents d’une prière, me présente à tout le monde, s’assure que je ne manque de rien. Coly n’est pas vraiment un homme comme les autres. Il occupe une fonction que je ne connaissais pas jusqu’à ce jour. Coly est un Baye-Fall. C’est un homme qui a choisi une voie spirituelle issue de l’islam à laquelle il est totalement dévoué. Son travail consiste à servir la communauté. Il offre sa présence et ses prières. On l’appelle pour bénir les nouveaux-nés, pour célébrer les mariages et accompagner les mourants. Un Baye -Fall est une sorte de gardien de l’humanité. Sa mission consiste à faire le bien autour de lui. Ses prières ne sont pas réservés aux musulmans. Coly prie pour tous les êtres humains indépendamment de leurs religions ou de leurs croyances. » Nous sommes tous de la même famille et nous avançons ensemble sur le chemin de la vie« , me répète-t-il. Pour Coly, le centre spirituel de l’Homme se situe dans le coeur. La tolérance, la solidarité, le partage, l’amour sont les valeurs qu’il porte en lui et qu’il essaye chaque jour d’incarner au mieux. J’ai rarement rencontré une personne aussi lumineuse. Sa présence est rayonnante. Quand je suis à ses côtés, j’ai la sensation d’être au contact d’un arbre. Coly est toujours très calme. Il peut rester des heures sans dire un mot. Je ne perçois jamais aucun signe d’impatience sur son visage. Il prend là vie comme elle vient, sans chercher à la contrôler. Souvent, il semble absorbé dans son monde. Coly est à la fois dans le monde et hors du monde. Une partie de lui est toujours en train de prier à tout moment de la journée.
Nous avons passé de longs moments ensemble à parler de la vie et du sens de l’existence. Le décor se prête à ce genre de conversations. La nuit la lune mange le ciel et baigne le village d’une douce lumière argentée. Ici, les constructions respectent le cosmos. D’un seul coup d’oeil, vous voilà relié à l’univers tout entier. Je n’ai jamais embrassé autant d’étoiles d’un regard auparavant. L’air exhale une odeur enivrante. L’encens local, le tchou-rai brûle dans chaque maison et se mélange aux effluves sucrées des plantes. Le village tout entier se transforme ainsi en temple sacré. Des oiseaux conversent à grands cris dans la nuit. La lune ronde comme la Terre veille amoureusement sur le village. Coly me parle au coin du feu. Je l’interroge : » Comment vivre dans ce monde si complexe ? ». Il me répond qu’il n’y a rien à faire d’autre que de rester soi-même. » Le plus important c’est d’apprendre à se connaître, d’être authentique, de se respecter et de respecter les autres. Comment peux-tu aimer les autres, si tu ne t’aimes pas ? De toutes les créatures terrestres, c’est l’être humain que Dieu aime le plus. Notre mission c’est d’être bégué » , me répond-il.
Bégué . Ce mot en wolof signifie bonheur. Pour Coly, le but de l’existence, c’est la recherche du bonheur. Et pour lui pas de bonheur sans paix, sans tolérance, sans respect de soi et des autres. Le bonheur n’est pas un idéal, c’est un chemin à incarner au quotidien, en suivant son coeur, en considérant chaque personne comme son égal. Je lui demande : « Et quand la vie nous secoue ? » Il me répond alors ceci : » Il faut garder confiance. Transformer le négatif en positif. Faire de son mieux. Il y a des événements qu’on ne peut pas contrôler. L’humilité, c’est accepter de lâcher-prise. Si quelque chose ne fonctionne pas comme tu veux, ce n’est pas une punition. Quelque chose de mieux t’attend ! « .
Le baobab
J’ai pris cette photo blottie au creux d’un baobab. Ces arbres fantastiques poussent très lentement. Les plus imposants d’entre eux sont de vieux papys de presque 1000 ans. Autant vous dire qu’on se sent tout petit à leur contact. Ils semblent contenir en eux une sagesse ancestrale. Me voilà donc adossée au tronc de ce baobab. Il m’encercle de sa douce et généreuse chaleur. Mes pieds plantés dans la terre, allongée dans ce qui ressemble à un lit douillet, je me sens soutenue par sa force bienveillante. Mon regard se perd dans la brousse. Je suis seule. C’est un moment rien que pour moi. Dans les bras réconfortants de ce baobab, soudain, une vague d’émotion m’envahit. Et je me mets à pleurer comme un nouveau-né, le corps traversé d’irrépressibles sanglots. Mes yeux mouillés plongent dans le crépuscule et j’ai la sensation d’être lavée, nettoyée, baignée, éclaircie par mes larmes. Je déroule le fil de ma vie à cet instant précis et je revois tous les moments difficiles qui ont traversé mon existence, tous les deuils qu’il a fallu faire, tous les chagrins, les trahisons, les échecs et les humiliations qui comme des aiguilles ont lacéré mon coeur au fil des expériences. Nous connaissons tous ces moments de chaos au creux de notre monde intime. Aucun être humain ne peut se vanter de n’avoir jamais souffert. Nous portons tous en nous des blessures. Cela fait partie de notre condition humaine.
Alors, repliée dans les bras de ce baobab, j’ai décidé en conscience, que je laisserai ici au pied de cet arbre, toutes mes peines, tous ces chagrins. Il était temps de laisser tout cela derrière moi. Il était temps de me libérer de toutes ces émotions du passé, de les rendre à la terre, pour qu’elle puisse recycler mes peines. Et alors, mes larmes ont changé de couleur. Elles sont devenues brillantes comme des gouttes de rosée. Mon coeur a explosé comme un soleil. La gratitude s’est alors installée en moi. Je me suis dit alors : » Toutes ces peines m’ont conduite jusqu’à ce jour, au creux d’un baobab, au milieu de cette beauté majestueuse. » Et là quelque chose en moi a dit : » Merci. Merci la vie de m’offrir tant de beauté à cette seconde précise« .
Qui sait où la vie nous conduit ? Une porte se ferme et une autre s’ouvre. Changer, c’est plonger les yeux bandés dans l’inconnu. C’est accepter de faire confiance. Le chemin de la transformation nous impose de laisser derrière nous tout ce qui nous alourdit, tout ce qui ne nous sert plus. Ne pas s’accrocher aux vieilles colères, aux chagrins du passé. En les laissant mourir, en les mettant en terre, nous nous autorisons à voir le monde dans l’instant présent avec des yeux neufs. Voir les choses telles qu’elles sont et non plus à travers le filtre d’émotions anciennes. Ne plus rejouer de vieux scénarios mais créer sa vie en accord avec le chant de son âme.
J’ai trouvé la sérénité au creux d’un baobab. En réalité, je suis née dans le ventre d’un baobab. Ici, en Afrique, je me suis reconnectée à la simplicité et à la beauté de la vie. La douceur et la gentillesse des personnes que j’ai rencontré m’ont démontré que le monde n’était pas que souffrance et lutte de pouvoir. Je n’ai cessé à la fin de mon voyage de témoigner ma gratitude à mes amis africains, cela a fait sourire Coly. Il m’a dit alors : » Le Sénégal t’a donnée ce que tu cherchais, parce que tu étais ouverte et curieuse de découvrir notre pays. C’est toi que tu dois remercier. » J’ai levé un sourcil, étonnée. Il est vrai qu’on ne se remercie jamais assez des cadeaux que nous acceptons de recevoir de la Vie.
Et maintenant que je termine ce récit. Je dois avouer que c’est la nostalgie qui s’infiltre en moi. Tous les instants magiques de notre existence passent en un battement de coeur. Ce sont ces instants qui donnent pourtant du sens à nos souffrances.
Alors comment poursuivre la route à présent ? En puisant dans la beauté, l’harmonie, la créativité, la confiance, la lumière, la liberté, la joie, la simplicité. Ce sont mes racines. Ce sont nos racines. Les racines de notre humanité. C’est ce qui nous nourrit en profondeur. Alors nous serons tous des baobabs. Alors nous serons enfin nous-mêmes.
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